Quand mon étudiant de doctorat Vincent Paquette et moi-même avons commencé à étudier les expériences spirituelles de soeurs carmélites à l’université de Montréal, nous savions que nos motivations allaient très probablement être mal comprises.
D’abord nous avons dû convaincre les soeurs que nous n’allions pas chercher à prouver que leurs expériences religieuses ne sont pas réelles, qu’elles sont des illusions, ou qu’elles s’expliquent par un artéfact dans le cerveau. Ensuite nous avons dû calmer à la fois les espoirs des athées professionnels et les craintes du clergé quant à la possibilité que nous allions chercher à réduire ces expériences à une sorte « d’interrupteur de Dieu » dans le cerveau.
C’est précisément ce que veulent faire de nombreux neuroscientifiques. Mais Vincent et moi appartenons à une minorité – les neuroscientifiques non-matérialistes. La plupart des scientifiques aujourd’hui sont des matérialistes qui pensent que le monde physique est la seule réalité. Absolument tout le reste – y compris les pensées, les sentiments, l’esprit, et la volonté – peut être expliqué en termes de matière et de phénomènes physiques, ne laissant aucune place au fait que la religion et les expériences spirituelles puissent être autre chose que des illusions. Les matérialistes sont comme le personnage de Charles Dickens, Ebeneezer Scrooge, qui rejette son expérience du fantôme de Marley comme « une tranche de boeuf mal digérée, une demi-cuillerée de moutarde, un morceau de fromage, un fragment de pomme de terre mal cuite ».
Vincent et moi, au contraire, n’avons pas entamé nos recherches avec de tels présupposés matérialistes. Et puisque nous ne sommes pas des matérialistes, nous n’avons pas douté a priori qu’une personne contemplative puisse entrer en contact avec une réalité extérieure à elle-même au cours d’une expérience mystique. En fait, les neurosciences m’ont attiré en partie parce que je savais d’expérience que de telles choses peuvent réellement se produire. Vincent et moi voulions seulement savoir quels pouvaient être les corrélats neuraux – l’activité des neurones – au cours d’une telle expérience.
Compte tenu de l’immense domination du matérialisme dans les neurosciences contemporaines, nous avons eu de la chance que les soeurs aient cru à notre sincérité et aient accepté de nous aider, puis que la Fondation Templeton ait vu l’intérêt de soutenir nos recherches. Bien sûr, on peut nous demander si les études neuroscientifiques sur des nonnes contemplatives peuvent démontrer l’existence de Dieu. Non, mais elles peuvent démontrer – et elles l’ont fait –, que l’état de conscience mystique est une réalité. Dans cet état, le contemplatif fait semble-t-il
l’expérience d’aspects de la réalité qui ne sont pas accessibles à partir d’autres états. Ces découvertes excluent plusieurs thèses matérialistes selon lesquelles le contemplatif simule ou enjolive l’expérience. Vincent et moi avons aussi montré que les expériences mystiques sont complexes – une découverte qui contredit la grande variété d’explications matérialistes simplistes, telles qu’un « gène de Dieu », un « point de Dieu », ou un « interrupteur de Dieu » dans nos cerveaux.
Denyse O’Leary, qui est journaliste, et moi-même avons écrit ce livre pour réfléchir au sens de ces études, et plus généralement pour proposer une approche neuroscientifique de la connaissance des expériences religieuses, spirituelles et mystiques. Aujourd’hui les neurosciences sont matérialistes. C’est-à-dire qu’elles supposent que l’esprit se réduit tout simplement au mécanisme physique du cerveau. Pour comprendre ce que cela veut dire, considérons cette simple phrase : « Cela m’est venu à l’esprit. » Personne ne dirait : « Cela m’est venu au cerveau. » Par contraste, on pourrait dire « il faut protéger le cerveau en cas de choc », et non « il faut protéger l’esprit en cas de choc ».
Prochaine : 2. Le cerveau n’est
pas l’esprit
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