3. Les approches non-matérialistes ont clairement démontré leur intérêt dans le domaine de la santé mentale.
Oui, ce livre – qui s’écarte de la tendance générale des livres de neurosciences destinés au grand public – remet en question le matérialisme. Bien plus que cela, il présente des données suggérant que le matérialisme n’est pas vrai. Vous verrez par vous-même que les preuves en faveur du matérialisme ne sont pas aussi solides que Steven Pinker voudrait vous le faire croire. Votre croyance dans le matérialisme ne pourrait subsister qu’en supposant – sur la base de la foi – que toute preuve du contraire qui vous est fournie doit être fausse.
Par exemple, ainsi que nous le verrons, un matérialiste croit volontiers – sans aucune preuve fiable d’aucune sorte – que les grands leaders spirituels souffrent d’épilepsie du lobe temporal droit, et non qu’ils vivent des expériences spirituelles éclairantes pour les autres autant qu’eux-mêmes. Quand la spiritualité est concernée, ces données d’expériences sont gênantes pour un matérialisme étroit. Ceci car un système comme le matérialisme est gravement altéré par toute preuve apportée contre lui. En conséquence, les observations qui résistent au matérialisme sont simplement ignorées par de nombreux scientifiques. Par exemple, les matérialistes mènent depuis des décennies une guerre d’usure contre la recherche sur les phénomènes psi (connaissance ou action à distance, comme la perception extrasensorielle : télépathie, précognition ou télékinésie), car la moindre preuve en faveur de la validité du psi, même mineure, est fatale à leur système idéologique. Récemment par exemple, des sceptiques autoproclamés ont attaqué le chercheur athée Sam Harris pour avoir avancé, dans son livre intitulé The End of Faith (La Fin de la Foi, 2004), que la recherche psi a une certaine validité.
Harris ne fait que s’appuyer sur des données, comme nous le verrons. Mais en faisant cela il viole ostensiblement un tenant important du matérialisme : l’idéologie matérialiste va à l’encontre de
certaines données.
Mais d’autres défis sont lancés au matérialisme. Les matérialistes sont tenus de penser que leurs esprits ne sont qu’une illusion créée par les mécanismes du cerveau, et par conséquent que le libre arbitre n’existe pas en réalité et ne peut donc exercer un contrôle sur le moindre trouble.
Mais les approches non-matérialistes ont clairement démontré leur intérêt dans le domaine de la santé mentale. En voici quelques exemples qui sont présentés dans ce livre.
• Jeffrey Schwartz, un neuropsychiatre non matérialiste de l’UCLA (université de Californie de Los Angeles), traite les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) – une maladie neuropsychiatrique caractérisée par des pensées pénibles, intrusives et non sollicitées – en amenant les patients à reprogrammer leur cerveau. Leurs esprits remodèlent donc leurs cerveaux. De la même façon, certains de mes collègues neuroscientifiques de l’université de Montréal et moi-même avons démontré, grâce aux techniques d’imagerie cérébrale, les éléments suivants :
• Les femmes et les jeunes filles peuvent exercer un contrôle volontaire sur l’intensité de leur réaction à des pensées tristes, bien que les jeunes filles aient eu plus de mal à y parvenir.
• Les hommes qui regardent des films érotiques sont tout à fait capables de contrôler leurs réactions, lorsqu’on leur demande de le faire.
• Les gens qui souffrent de phobies comme l’arachnophobie (peur des araignées) peuvent réorganiser leurs cerveaux de telle sorte qu’ils surmontent la peur.
Les preuves d’un contrôle de l’esprit sur le cerveau sont bel et bien contenues dans ces études. Le contrôle de « l’esprit sur la matière » est une réalité. Nous possédons le pouvoir de la volonté, une conscience et des émotions, et en combinant cela à un sens de la finalité et de la signification, nous pouvons engendrer le changement.
Il fut un temps où les explications matérialistes de la religion et de la spiritualité valaient au moins la peine d’être prises en considération. Par exemple, Sigmund Freud disait que les souvenirs infantiles d’une figure paternelle amenaient les personnes religieuses à croire en Dieu.L’explication de Freud n’a pas tenu car le christianisme est la seule grande religion qui insiste sur la paternité de Dieu. Bien que fausse, son idée n’était pas pour autant ridicule. Les relations avec le père, heureuses ou non, sont des expériences humaines complexes, qui comportent des analogies avec la religion. De même, l’anthropologue J.G. Frazer pensait que les religions modernes sont nées de cultes primitifs voués à la fertilité, qui ont été ensuite « spiritualisés ».
En réalité, les indices désignent plus précisément les expériences spirituelles comme la source des croyances et des rituels religieux qui sont apparus ensuite. Toutefois, l’idée de Frazer était loin d’être triviale. Elle résultait d’une étude longue et approfondie d’anciens systèmes de croyance. Mais les explications matérialistes de la religion et de la spiritualité sont récemment devenues hors de contrôle. Influencés par le préjugé matérialiste, les médias populaires se jettent sur les histoires de gène de la violence, gène de l’obésité, gène de la monogamie, gène de l’infidélité, et même désormais un gène de Dieu !
L’argument se présente ainsi : les psychologues évolutionnistes tentent d’expliquer la spiritualité humaine et la croyance en Dieu en suggérant que ceux parmi les hommes des cavernes qui croyaient en une réalité surnaturelle avaient plus de chances de transmettre leurs gènes que les autres. Les progrès en génétique et en neurosciences ont encouragé certains à rechercher très sérieusement un tel gène de Dieu, ou bien un point de Dieu, un module, un facteur, ou un « interrupteur » de Dieu dans le cerveau humain.
À l’époque où l’incroyable « casque de Dieu » (un casque de motoneige équipé de solénoïdes qui peuvent soi-disant stimuler les sujets pour vivre une expérience spirituelle), à Sudbury au Canada, a aimanté les journalistes scientifiques dans les années 1990 (la décennie du cerveau), le matérialisme s’apprêtait à franchir les limites du ridicule. Pourtant, ils continuent à rechercher un « interrupteur » de Dieu. Ces quelques digressions farfelues mises à part, on ne peut échapper au non-matérialisme de l’esprit humain. Par essence, il n’y a pas « d’interrupteur » de Dieu.
Ainsi que les études avec les soeurs carmélites l’ont démontré et que ce livre va le détailler, les expériences spirituelles sont complexes, tout comme nos expériences des relations humaines. Elles laissent des signatures dans de nombreux emplacements du cerveau. Ce fait est cohérent (bien que non démonstratif par lui-même) avec l’idée que la personne vivant une expérience spirituelle entre en contact avec une réalité extérieure à elle-même.
Il se trouve que le matérialisme est périmé. Il n’apporte aucune hypothèse utile pour comprendre l’esprit humain ou les expériences spirituelles, et il en est même très loin. Un peu au-delà se trouve un vaste domaine dans lequel le matérialisme ne peut entrer, et qu’il peut encore moins explorer. Mais la bonne nouvelle est qu’en l’absence de matérialisme, il existe des signes montrant que la spiritualité peut tout à fait être étudiée et explorée à l’aide des neurosciences modernes.
Les neurosciences non-matérialistes ne sont pas contraintes de rejeter, nier, justifier, ou de traiter comme des problèmes toutes les données qui contrarient le matérialisme. Cela est prometteur car les recherches actuelles viennent alimenter un corpus croissant de telles preuves. Trois exemples abordés dans ce livre sont : l’effet psi, les expériences de mort imminente (EMI ou NDE pour Near-Death Experiences), et l’effet placebo.
L’effet psi, tel qu’il est observé dans des phénomènes comme la perception extrasensorielle et la psychokinèse, est un effet de faible intensité, certes, mais les tentatives pour l’infirmer ont échoué. Les EMI sont également un thème de recherche plus présent ces dernières années, probablement parce que le développement de techniques de réanimation efficaces a permis la survie d’un plus grand nombre de personnes qui peuvent rapporter ces expériences. Grâce aux travaux de chercheurs tels que Pim van Lommel, Sam Parnia, Peter Fenwick et Bruce Greyson,
nous disposons désormais d’une base d’informations qui s’enrichit.
Les observations ne confirment pas une vision matérialiste de l’esprit et de la conscience, comme celle proposée par Pinker, qui a écrit dans Time : « Quand l’activité physiologique du cerveau cesse, tout ce que l’on peut dire est que la conscience de cette personne quitte l’existence. » La plupart d’entre nous n’ont pas vécu d’expériences inhabituelles comme l’effet psi ou une EMI, mais nous avons certainement tous déjà fait l’expérience de l’effet placebo : Ne vous est-il jamais arrivé d’aller chez un médecin pour faire établir un certificat médical disant que vous ne pouvez pas vous rendre au travail, à cause d’un mauvais rhume – et soudain, assis là dans la salle d’attente et feuilletant des magazines, vous commencez à vous sentir mieux ?
C’est une situation embarrassante, mais facile à expliquer : votre esprit génère des messages qui enclenchent les processus analgésiques ou de guérison dès lors que vous avez accepté d’entamer un chemin de guérison. Les neurosciences matérialistes ont longtemps considéré l’effet placebo comme étant un problème, mais c’est l’un des phénomènes les mieux démontrés en médecine. Pour les neurosciences non matérialistes au contraire, c’est un effet normal qui peut être d’un grand intérêt thérapeutique lorsqu’il est correctement utilisé.
Le matérialisme est semble-t-il incapable de répondre aux questions clés sur la nature de l’être humain et ses perspectives d’y répondre un jour de façon intelligible sont réduites. Il a toutefois convaincu des millions de personnes qu’elles ne devraient pas chercher à développer leur nature spirituelle puisqu’elles n’en ont aucune.
Certains pensent que la solution est de continuer à soutenir le matérialisme un peu plus fermement que par le passé. Ces dernières années, d’importants porte-paroles du matérialisme ont lancé une croisade « anti-Dieu » largement médiatisée et quelque peu étrange.
Les travaux antithéistes tels que Breaking the Spell : Religion as a Natural Phenomenon (Briser le sort : la religion comme phénomène naturel, Daniel Dennett), The God Delusion, (L’Illusion de Dieu, Richard Dawkins), The Failed Hypothesis – How Science Shows that God Does Not
Exist, (La Fausse Hypothèse – comment la science montre que Dieu n’existe pas, Victor J. Stenger), God Is Not Great (Dieu n’est pas Grand, Christopher Hitchens), et Letters to a Christian Nation (Lettres à une nation chrétienne, Sam Harris) – aucun de ces ouvrages n’est pour l’instant disponible en français –, s’accompagnent de conférences telles qu’ « Au-delà de la croyance » du réseau Science Network, et de campagnes comme le «Youtube blasphemy challenge » (Le Défi du blasphème sur le site internet Youtube).
Il est remarquable de constater qu’il n’y a pas une seule idée nouvelle dans tout ce que ces gens ont à dire. Les philosophes du XVIIIe siècle l’avaient déjà dit avant eux avec autant, sinon moins, de succès. En outre, de récents travaux ont été assaisonnés de certaines propositions contestables de la psychologie évolutionniste – cette tentative de faire dériver la religion et la spiritualité de pratiques pouvant avoir permis à quelques-uns de nos ancêtres du pléistocène de transmettre leurs gènes.
Mais nos ancêtres du pléistocène sont morts depuis si longtemps que l’on ne peut apprendre grand-chose d’une discipline à laquelle il manque un sujet d’étude. On nous donne également de multiples garanties concernant la nature illusoire du cerveau, de la conscience, du libre arbitre, et l’inutilité voire le danger de la spiritualité.
Note: The English language version starts here.
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